Dans quelques jours, l’Arménie et la diaspora fêteront le quart de siècle de l’indépendance de l’Arménie. Nous sommes fiers, aujourd’hui d’être parmi ceux qui ne participeront pas à ces festivités. Nous serons en pensée avec nos frères prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons pour avoir dit la vérité et amorcé les luttes indispensables pour venir à bout d’un des régimes les plus corrompus au monde. En disant l’un des régimes les plus corrompus au monde, nous voulons dire par là qu’il n’a pas hésité à toucher l’un des peuples au monde qui a le plus soif de justice. C’est dire la distance incommensurable entre ce régime et les aspirations profondes du peuple arménien, qu’il soit en Arménie, en Artsakh, au Djavakhk, sur nos terres de l’Arménie occidentale ou en diaspora. Et les appels pour la reconnaissance internationale du génocide et même pour les réparations par la Turquie nous apparaîtront désormais comme autant de masques qui cachent la souffrance de ceux qui vivent en Arménie aujourd’hui et de ceux qui sont contraints d’émigrer en masse. Nous n’accepterons plus que les luttes pour la reconnaissance du génocide et pour les réparations qui sont maintenant instrumentalisées, contribuent au déni des pires méfaits accomplis par la coterie qui a dirigé l’Arménie depuis son indépendance. Et c’est faire offense à nos morts que de les instrumentaliser de la sorte. Demandons d’abord réparations à ceux qui ont pillé, qui ont vendu l’Arménie et qui se sont enrichis par millions et par milliards, ce n’est qu’ensuite que viendra le tour de la Turquie.
Certains en diaspora nous accusent de penser que nous sommes meilleurs que les autres. Non, nous ne sommes pas meilleurs que les autres mais nous nous sentons faire partie d’un peuple à qui l’injustice a des comptes à rendre. Et c’est pourquoi, si nous sommes fidèles à ce peuple, nous ne supportons pas l’injustice quelle qu’elle soit, où et qui elle frappe.
Oui, le régime en Arménie est l’un des plus abjects au monde. Loin de faire de la sécurité du pays la priorité, l’oligarchie au pouvoir détourne à son propre profit les sommes qui devraient être consacrées à la modernisation de l’armée. C’est un crime. Elle pille le pays alors que l’ennemi aux frontières tue les conscrits, à la fleur de l’âge, appelés sous les drapeaux. Au mois d’avril, durant la guerre des quatre jours, toute une jeunesse est partie pour l’autre monde, parce qu’elle n’était pas suffisamment armée ni suffisamment renseignée. L’armée arménienne faisait face à l’Azerbaïdjan, avec un armement datant des années 80, selon les dires même du président.
Et les vingt mille policiers qui constituent la garde rapprochée du pouvoir et que nous avons vus à l’œuvre lors de la répression de cet été contre des manifestants pacifiques, ceux-là ont un armement infiniment supérieur, bien plus moderne, bien plus sophistiqué que celui de l’armée arménienne.
Oui, l’Arménie est l’un des pires pays corrompus au monde. Le pouvoir en place ose commémorer le génocide, il ose fêter les vingt-cinq années de l’indépendance de l’Arménie qui ont été un quart de siècle de pillage, de souffrances, de destruction. L’action des Sasna Tsrer, cet été, a montré à tous que le roi était nu. Mais les meilleurs de ses fils, ceux qui ont le courage de dire la vérité – les Andreas Ghougassian, Garo Yegnukian, Shant Haroutiounian, Kevork Safarian, Mher Mazmanian, Jiraïr Sefilian et tant d’autres, croupissent aujourd’hui dans les prisons. Comment la diaspora pourra-t-elle continuer à inaugurer des écoles si elle continue, tel Ponce Pilate à se laver les mains alors que l’Arménie est au désespoir.
Si, dans les pays démocratiques, la seule source du pouvoir est le peuple et si le peuple exerce ce pouvoir grâce à des élections libres, alors nous pouvons affirmer que le pouvoir, en Arménie, a été usurpé, car ni le président, ni son gouvernement, ni les députés de l’assemblée nationale n’ont été élus grâce à des élections libres. Dans l’Arménie dite « indépendante », l’usurpation du pouvoir qui est un crime a été mise en œuvre par les présidents successifs, Levon Ter Petrossian, Robert Kotcharian, Serge Sarkissian et par les organisations politiques à leur service. Et le système ainsi créé s’est révélé comme une incarnation politique nouvelle du totalitarisme soviétique, une politique qui s’oppose aux intérêts et aux aspirations de la population. Le peuple a tenté tous les moyens, sans succès, pour venir à bout de ce système qui ne le représente pas et qui s’oppose aux droits de l’homme et aux libertés. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 énonce en son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». La diaspora n’est-elle pas constituée de « portions » du peuple arménien ? Et si oui, va-t-elle s’octroyer le droit et se sentir le devoir d’accompagner le soulèvement pacifique entamé cet été en Arménie par les Sasna Tsrer, le 17 juillet 2016 ?
Comité de soutien des prisonniers politiques en Arménie
Texte lu le 17 septembre 2016, lors de la manifestation qui s’est rendue de la Statue de Komitas à l’Ambassade d’Arménie
Leave a Comment